Écritures : composer avec le jonglage

Écrire avec du jonglage suppose tout d’abord une pratique, individuelle ou collective. Même hors du cadre de la représentation scénique, la pratique de l’entraînement — seul·e ou à plusieurs — peut déjà être l’occasion pour les jongleur·se·s d’écrire. Si le synonyme le plus proche de ce verbe pourrait être « composer » dans le cadre de ce dossier, c’est parce qu’on ne fait pas que jongler quand on compose des routines. Qu’elles soient pour soi-même, ses pairs ou des spectateur·rice·s qui ne sont pas praticien·ne·s, composer avec le jonglage revient à donner un certain sens, une certaine cohérence à un ensemble de techniques. 

On peut penser d’emblée qu’au moins un·e jongleur·se est en charge de ce qu’on désigne ici par le terme « écriture », et que l’employer au pluriel vient témoigner de la singularité de son travail et de ses recherches. Que ce soit en tant qu’auteur·rice ou en endossant d’autres fonctions dans une équipe artistique, on considère qu’iel opère un travail de composition singulier en mobilisant au moins un savoir-faire spécifique ayant trait au jonglage. Il semble dès lors évident que les jongleur·se·s soient les plus à même de rendre compte de la place du jonglage dans l’écriture de leurs œuvres.

Pourtant le jonglage est souvent associé à d’autres pratiques et savoirs dans la création d’une œuvre. Sont notamment concernés des métiers ou fonctions à part entière, qui ont trait parfois à des composantes scéniques (telles que la lumière, la scénographie, le son, etc.) ainsi que des pratiques et champs artistiques (théâtre, musique, danse, marionnette, mime, etc.). C’est pourquoi on souhaiterait aussi tenir compte d’œuvres et de processus de création pour lesquels les responsabilités autour de l’écriture globale peuvent être partagées avec d’autres personnes membres d’une équipe artistique.

Il s’agira avant tout de constituer des marques et repères nous permettant de parler au mieux de ce qui existe parmi les jonglages. Une telle initiative a vocation à réévaluer l’usage et la pertinence de certaines expressions ou entrées réflexives, ou au contraire en valoriser voire en forger de nouvelles. Par conséquent, l’intérêt de la marque du pluriel au terme « jonglage » est aussi concernée. De plus, le socle commun que ce dossier vise à élaborer pourra être à l’avenir mobilisé pour traiter divers problèmes et thématiques dans le cadre de futurs dossiers ou enquêtes.

Ce dossier ne traitera pas de l’écriture sur le jonglage, dédiée au jonglage, ou autour du jonglage. Bien qu’elle puisse constituer le sujet d’un spectacle ou du moins impulser de notes d’intentions, cette forme d’écriture reste le plus souvent mise en œuvre, sans pour autant faire œuvre. Nous n’excluons pas toutefois la possibilité de mobiliser des ressources concernées (ouvrages, périodiques, littérature sur le jonglage, dossiers de production et diffusion, etc.) à titre documentaire ; nous l’encouragerons d’ailleurs en proposant prochainement des références de différente nature. 

Plusieurs axes d’étude ont été retenus. Ceux-ci peuvent se recouper et pourront si besoin faire l’objet de plusieurs volumes afin d’appréhender l’ensemble des enjeux qu’ils recouvrent. 

Identification et dénomination

Que recouvre la formulation « écriture du jonglage » lorsqu’on inscrit ce dernier dans le cadre d’un processus de création ? Comment dès lors situer l’écriture d’au moins un·e jongleur·se parmi les jonglages, les autres jongleur·se·s et plus largement dans le paysage artistique et culturel ? Qu’est-ce qui caractérise finalement une écriture, au point de distinguer le jonglage d’autres pratiques circassiennes, voire d’autres champs artistiques ? 

Il s’agit ici de mettre à l’épreuve des critères qui permettraient d’un côté d’identifier des écritures du jonglage. De l’autre, l’enjeu est aussi de montrer en quoi elles diffèrent d’autres écritures et gestes créatifs. Autrement dit : en quoi, dans l’écriture globale d’une oeuvre, tenter de distinguer le jonglage d’autres pratiques et composantes scéniques trouve-t-il des limites ?

Fabrique, fonctionnement et mécanique

Parce que nous ciblons l’écriture en tant que processus, il s’agira d’autre part d’analyser la façon dont le jonglage est mis en jeu pour créer une œuvre, et ce possiblement dès le stade d’une routine. Cet axe implique de considérer des techniques et matériaux propres au jonglage, mais aussi d’envisager différents usages et discours qui peuvent lui être associés, ou au contraire s’en détachent. Plusieurs questions peuvent être posées :

– Comment, et dans quelles conditions ce processus advient, émerge, évolue, et s’achève ? Qu’est-ce qui fait qu’on écrit avec du jonglage ? À quel(s) moment(s) en particulier ? Qu’est-ce qui change si l’on compose une œuvre uniquement à partir ou depuis le jonglage, sans que le processus en question ne donne lieu à la création d’une œuvre jonglée ? Que se passe-t-il si l’on souhaite composer une œuvre en jongleur·se, mais où le jonglage n’est plus clairement là, explicitement repérable et identifiable, voire absent aux yeux des spectateur·rice·s ?

– Comment des jongleur·se·s peuvent-iels raconter quelque chose ? Quand peut-on parler d’histoires, de récits ? En quoi pourrait-on affirmer que le jonglage repose sur des structures narratives ? Pensons au riche vivier de notions et méthodes d’analyse développées dans la littérature, l’histoire de l’art et d’autres champs disciplinaires (théâtre, musique, opéra, danse, marionnette, cinéma, etc.) ou scientifiques : dans quelle mesure aurait-on intérêt à s’y plonger pour appréhender et caractériser certaines des potentialités du jonglage ?

– Comment peut-on faire l’archéologie des différents matériaux qui sont parties prenantes de l’écriture d’œuvres avec du jonglage, notamment quand on sait les limites et les difficultés qu’implique l’acte d’en garder trace ? 

Reconnaissance et appropriation

En quoi répondre à l’ensemble de ces questions précédemment posées aide-t-il à mieux comprendre le rapport que des jongleur·se·s entretiennent avec celleux qui composent et/ou aident à composer les œuvres dans lesquelles iels sont impliqué·e·s ? Qu’iels soient dramaturges, collaborateur·rice·s, metteur·se·s en scène, interprètes, etc. ou endossent d’autres responsabilités dans une équipe de création, que font-iels au jonglage qui compose une œuvre ? 

Finalement, quelle importance des jongleur·se·s accordent-iels à la place de leur écriture et à ce qui la compose dans une création, notamment dans des contextes collaboratifs impliquant d’autre métiers, et d’autres champs de la création ? Comment une valeur ou une fonction sont-elles attribuées à cette « matière », à ce qui désigne de façon assez abstraite voire absconse l’écriture qui nous anime tout en animant au moins quelque chose d’autre ?

Ouverture de l’appel : 8 avril 2022.

Les modalités pour soumettre une proposition de contribution à la revue Jonglages sont précisées dans une page dédiée : Comment contribuer.

Remerciements

Vincent Berhault ; Julien Clément ; Domnique Duthuit ; Stéphane Fillon ; Thomas Guérineau ; Gentiane Guillot ; Bogdan Illouz ; Nicolas Longuechaud ; Guillaume Martinet ; Nicolas Mathis ; Emma Merabet ; Cédric Parizot ; Emmanuel Pérez ; Priam Pierret ; Karine Saroh ; Stéphane Simonin ; Cyril Thomas ; Aurélie Vincq.