Le paradoxe du jonglage
Nous savons tous reconnaître du jonglage lorsque l’on en voit (quoique certaines formes soient plus ou moins identifiables comme telles).
Mais savons-nous quand le jonglage naît et meurt ?
Naît-il lors du lancer d’objet ?
Si nous partons du postulat que le jonglage naît lorsque l’objet quitte ma main, est-ce que le jonglage n’est donc qu’objet lancé en l’air ? Ou pour aller plus loin, qu’objet quittant ma main ?
Le jonglage n’existe-t-il qu’en dehors d’une saisie de l’objet par ma main ou une autre partie de mon corps ?
À quel moment un objet peut-il être considéré comme saisi ?
Est-ce qu’un objet simplement posé et non saisi sur une partie de mon corps peut être considéré dans un état entre « être jonglé » et « non jonglé » ?
Mais puisque je n’ai plus aucune incidence sur l’objet jusqu’à sa réception, peut-il encore être considéré comme jonglé ?
Si je manipule un objet grâce à un autre objet, est-ce encore du jonglage ? (Comme le diabolo, ou encore le jonglage de sac plastiques grâce à des ventilateurs tel que le propose Phia Ménard.)
Si le jonglage est le fait de lancer et rattraper un objet, ou bien de manipuler un objet avec l’intention de jongler, quand peut-on ne plus considérer un objet comme jonglable ?
Puis-je jongler d’autres matières qui ne soient pas des objets (terre, herbe,…) ? Est-ce que la matière doit être palpable pour être considérée comme étant jonglée (feu, air, eau…) ?
Puis-je jongler un corps ?
Est-ce que le jonglage n’est qu’un mouvement d’objet ?
Si oui, en retirant toute autre chose inutile à cela, est-ce que le jonglage peut arriver alors de lui-même dans la nature ?
Est-ce qu’une feuille volant au vent est du jonglage né par la force de Coriolis ?
Si je jongle des objets qui ne bougent pas, suis-je en train de jongler, de me jongler, ou encore est-ce l’objet qui est en train de me jongler ?
Quand je marche, suis-je en train de jongler la Terre qui est sous moi ?
Puis-je jongler des molécules ? Des atomes ? Comment jongle-t-on de l’air ? De la lumière ?
Si je manipule des atomes ou des molécules, lors de mes interactions avec ces matières impalpables, suis-je en train de les jongler ?
Mon ombre étant une résultante de mon interaction avec la lumière, est-elle jonglée ou jongle-t-elle elle-même ?
Aussi, mon corps échangeant constamment des atomes avec le monde autour de lui, suis-je donc en train de faire du passing* avec mon environnement ? Ou encore, mon corps interagissant avec l’air qui lui interfère avec d’autres éléments alentour, peut-on dire que je jongle par correspondance ?
Admettons que le jonglage naisse avant que l’objet ne quitte ma main. Est-ce que sa naissance implique la mise en mouvement de mon corps ?
Pourrais-je donc jongler sans avoir à lancer d’objet où même lâcher d’objet ?
Uniquement bouger mon corps avec un objet tenu par une partie de mon corps me permettrait-il de jongler ?
En allant plus loin et suivant cette même logique, si je ne lance jamais d’objet et que le mouvement est la seule résultante pour voir naître le jonglage, l’objet est-il alors nécessaire pour que le jonglage existe ?
Autrement dit, puis-je jongler sans objet ?
D’ailleurs, est-ce que les vêtements que je porte ne sont pas déjà jonglés par moi-même grâce aux mouvements de mon corps ?
Puis-je jongler tout nu, seul sans objet ?
Si le jonglage n’est que l’action de jongler quelque chose, la danse peut-elle être considérée comme un jonglage de mon propre corps ? De mes muscles, ma peau, mes os ?
Comment puis-je jongler mon propre corps ?
Aussi, mon corps n’est-il pas en train de jongler de lui-même en faisant circuler le sang à travers mes veines ?
Est-ce que le jonglage ne serait que pur mouvement ?
Si ce n’est pas encore cela, le jonglage naît-il alors avant même le mouvement ? Au moment où je décide de jongler ? Ou même encore avant, lors de mon intention de jongler ?
S’il naît au moment de mon intention ou de ma prise de décision de vouloir jongler, puis-je donc jongler sans même un mouvement perceptible à l’œil nu ?
Lors de ma décision de jongler, je ne suis pas encore en mouvement pour jongler. Et pourtant le jonglage serait-il déjà né ?
Ma seule volonté serait-elle l’unique paramètre permettant de voir le jonglage naître ?
Qu’en est-il du regard du public ?
Le jonglage naît-il lorsque le public le souhaite ? Ou lorsque je le décide ?
Est-ce que la naissance ou la mort du jonglage apparaissent lorsque le public décide inconsciemment qu’un·e jongleur·se est, ou n’est plus en train de jongler ?
Est-ce que le jonglage repose sur un consensus commun entre le public et moi-même ? Le jonglage n’existerait-il que s’il se trouve un·e acteur·ice et un·e spectateur·rice ?
Le public doit-il voir l’objet jonglé pour pouvoir considérer que je jongle ?
Si je lui assure que je suis en train de jongler mais que je n’ai pas d’objet, peut-il me croire ?
Si le public ne voit que l’ombre de moi-même en train de jongler (des objets réels et dédiés au jonglage), peut-on toujours considérer que le public regarde du jonglage ?
Si ce n’est encore aucune de ces choses, le jonglage ne naîtrait-il pas lors de la réunion de tous ces paramètres ? C’est-à-dire, uniquement lorsque mon intention de jongler mène à un mouvement de mon corps qui fait se mouvoir un objet dans l’espace jusqu’à la fin de mon action jonglée ?
Ainsi, pourrions-nous admettre que tant que l’action jonglée n’est pas finie, le jonglage ne serait pas en vie ?
Chaque mouvement, chaque décision prise avant cela seraient-ils dans une sorte d’état quantique d’être et ne pas être du jonglage ?
Est-ce que le jonglage serait une forme d’état superposé comme on pourrait le retrouver dans le paradoxe de Schrödinger et son chat à la fois mort et vivant ? Un premier état quantique visible ?
Si nous continuons ce raisonnement, à quel moment le jonglage meurt ?
Lors de ma décision d’arrêter de jongler ?
Est-ce à la chute de l’objet ?
Quand pouvons-nous considérer que l’objet a chuté ?
Au moment où l’objet touche le sol, ou dès lors qu’il quitte ma main ?
Est-ce lorsque l’objet arrête de bouger sur une surface n’étant pas mon corps ?
Le jonglage meurt-il donc au moment où l’objet ne bouge plus ? Si oui, puis-je vraiment jongler un objet qui ne bouge pas ? Existe-il un jonglage composé uniquement de chutes ?
Est-ce que le jonglage meurt avant la chute ?
Lors de la réception de l’objet, pourquoi ne pourrions-nous pas considérer que le jonglage meurt ? L’objet étant de retour à un état ordinaire, car simplement tenu par ma main, en quoi serait-il encore jonglé ?
Entre sa rattrape par moi-même et le retour de mon corps à une position neutre (admettons les bras le long du corps), y a t-il encore jonglage ?
Tout comme lors de sa naissance, le jonglage est-il toujours vivant lors de la fin du mouvement de rattrape de l’objet ?
En poussant cette idée plus loin, si mon mouvement menant au retour à la position neutre ne s’arrête pas après la réception de l’objet, peut-on considérer encore ce mouvement comme du jonglage ?
À partir de combien de temps entre deux lancers de jonglage ou actions jonglées le jonglage meurt-il et laisse place à autre chose ?
Si ce temps est infini, peut-on dire qu’au moment où j’écris ces lignes, je suis toujours en train de jongler ?
Peut-on dire que le jonglage meurt au moment même du lancer ?
L’objet pendant ce temps de lancer est-il dans une forme quantique de jonglage car en même temps jonglé et non jonglé ?
D’ailleurs, est-ce qu’un objet peut être uniquement jonglé ou non jonglé ?
Peut-il être “plus” ou “moins” jonglé ?
Si oui, y a t-il un rapport d’échelle de distance entre ma main et l’objet ? Est-ce que je jongle de moins en moins lorsque je lance de plus en plus haut ?
Si non, la forme de jonglage que l’on définit comme jonglage ne serait-elle alors qu’une alternance de moments jonglés et non jonglés ?
Nous reviendrions alors au sujet de base.
À quel moment le jonglage naît et meurt ?
Remerciements
Joseph Bleher, Kate Boschetti, Cyrille Roussial, Laurane Wütrich