Essai


Jongler avec la merde


  • Date de publication :
    23 avril 2024
  • Dernière modification :
    23 avril 2024

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Nathan Israël, « Jongler avec la merde », Jonglages, 23 avril 2024.
https://maisondesjonglages.fr/contributions/jongler-avec-la-merde/

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Contributeur(s)

Nathan Israël

Auteur

Jean-Michel Guy

Relecture

Cyrille Roussial

Relecture

Derrière son titre provocateur, cette seconde contribution de Nathan Israël constitue une nouvelle invitation à penser notre rapport au monde depuis des éléments que le jonglage est à même de mettre en jeu. Après un premier essai intitulé “Jongler avec la mort”, l’auteur se joue ici de notre familiarité avec la matière fécale pour discuter de l’informe, du scabreux et du viscéral qui l’animent dans des œuvres relevant de différents domaines artistiques.

À nouveau, l’esthétique du travail de ce jongleur rôde dans ses mots. Nous retrouvons au cours de son cheminement poétique des digressions qui laissent voir de la vie dans des actes aussi bien quotidiens que spectaculaires. Aussi l’auteur pose-t-il des questions auxquelles il tente parfois de répondre depuis les potentialités du jonglage.

Jongler avec la merde

Préambule

On est dans la merde.

Socialement, les inégalités s’accroissent et les tensions s’exacerbent. Politiquement, ça se polarise de plus en plus et l’extrême droite est au pouvoir ou aux portes du pouvoir. Et écologiquement, c’est une catastrophe absolue, totale.

On est dans la merde et jusqu’au cou.

L’usage de ce mot est cru mais ce n’est qu’un pâle reflet de la situation. Aussi je l’utilise sans la réserve de la bienséance.

 

Ce texte est un voyage avec plein de détours sur notre rapport à cette merde dans laquelle nous sommes, à cette merde que nous voulons cacher ou pas. À la merde dans ses différents aspects et à ce que le jonglage peut en dire.

 

 

Noble ou pas ?

Les arts ont tous leurs lettres de noblesse.

Mais certains plus que d’autres.

En Occident, on associe intuitivement certains arts au raffinement, à l’élite et d’autres à la roture, au peuple avec un certain dédain.

 

Certains pourront dire que la musique transcende, que le théâtre cathartise, que la danse élève, que la poésie réinvente la langue, ou encore que la peinture et la sculpture nous ouvrent les yeux.

 

Chacun de ces arts a pu à un moment de l’histoire servir ou contrecarrer le pouvoir ou le religieux dans une tentative d’accession au sublime et au sacré ; accéder à une reconnaissance par l’aristocratie et au statut d’art majeur.

Mais il y a un art qui sent la merde.

La merde de cheval en l’occurrence : le cirque.

 

Art immanent, art terre-à-terre (même pour les trapézistes), le cirque a longtemps cherché sa noblesse là où il se pratique : dans la boue, dans la fange. Et toutes les paillettes, tous les cuivres et l’or du monde ne pourront cacher cette odeur fondamentale, ce truc qui colle comme à tous les transfuges sociaux, une marque, un stigmate.

 

Dans mon travail, la merde est apparue à plusieurs reprises.

Avec Gadoue (2018), d’une certaine manière, je m’y plonge. Dans ce spectacle, le personnage que j’incarne, tout respectable et bien habillé, se retrouve dans l’embarras à devoir évoluer sur une piste recouverte d’argile. Il s’y essaie sans se salir et c’est bien la question. Mais pour finir, après les premières petites taches, il se retrouve en caleçon et s’immerge dans l’argile, la terre, la fange pour rejoindre quelque chose de premier chez lui, une vérité de son être, une dignité dans le caca. Et les enfants ne sont pas dupes quand ils rient de me voir avec une tache de boue au caleçon. Ça leur rappelle bien le temps pas si éloigné des couches.

Il y a plus longtemps, j’avais créé avec Volodia Lesluin et Paola Rizza deux pièces qui traitaient de l’animalité et des rapports de pouvoir : Lard (2011) et Lardon (2008).

Dans ces deux pièces, je jonglais avec une substance marron qui tombait du ciel, comme des merdes d’êtres supérieurs, des merdes de Dieu. Il y avait quelque chose de terrible et de drôle dans ce jonglage.

 

Le rire que provoquent ces spectacles et ces scènes est bien le signe d’une gêne et de troubles intimes liés à cette question. La question de la saleté, de l’odeur est bien sûr la première qui nous vient en tête mais on peut chercher d’autres choses derrière ça.

Alors, c’est quoi la merde ?

 

 

La merde et le jonglage aujourd’hui

C’est quoi la merde pour le jonglage ?

C’est quoi la merde aujourd’hui ?

Premièrement, la merde est cette partie de nous qui, quotidiennement ou presque, tombe de notre corps.

On s’accroupit, on s’assoit, le péristaltisme fait son travail et ça tombe.

 

Or, jongler c’est bien gérer la chute d’un corps.

C’est peut-être l’un des premiers apprentissages de la chute pour nous humains.

Certes, on a d’abord besoin de ne pas tomber nous-mêmes et c’est déjà un sacré travail que d’accéder à la bipédie et à une relative stabilité : tenir debout. On essaie aussi de ne pas trop faire tomber les objets qui nous entourent.

 

D’accord, il arrive qu’on rigole bien à faire tomber quelque chose, à le voir disparaître puis réapparaitre grâce au parent suffisamment bon qui nous le rend.

Le concept de parent suffisamment bon a été forgé par un psychanalyste, Donald Winnicott, qui définissait trois fonctions essentielles du parent à l’égard du petit enfant : le handling (manipuler l’enfant, lui faire sentir sa peau, son enveloppe, sa texture, musculature etc.), le holding (porter l’enfant, lui offrir la sécurité de se sentir toujours porté, supporté) et l’object presenting (présenter à l’enfant des objets, le monde extérieur, les poids, les surfaces, l’altérité).

Quant à la disparition puis réapparition de l’objet, c’est le célèbre « Fort-Da », identifié par Freud, de l’enfant qui se réjouit de voir que quelque chose de disparu peut revenir, qu’il n’est pas perdu définitivement.

 

Mais la chute en soi, pour soi, une fois qu’on ne porte plus de couche, c’est bien le caca. Ce don qu’on peut faire au monde, ou pas. Cette chose de nous qu’on abandonne, qu’on laisse ou non. J’y reviendrai.

 

Deuxièmement, pour parler du rapport entre merde et jonglage aujourd’hui, je vais vous proposer un grand détour historique qui nous amènera à la question de la forme et à la posture possible de l’artiste aujourd’hui. En creux, il s’agit de réfléchir à ce qui a contribué à affaiblir la notion de transcendance en Occident et à se demander si « l’avenir » de la transcendance n’est pas dans la merde (dans tous les sens de l’expression).

Un faisceau d’éléments a contribué à la modernité et a préparé à aujourd’hui, en voici quelques-uns :

Je pense à la révolution technique et industrielle,

Je pense à la mort de Dieu proférée par Nietzsche,

Je pense à l’emprise progressive du capitalisme,

Je pense également à deux principales remises en question poétiques. D’un côté, celle du fond par Baudelaire, de ce que peut dire un poème : le beau n’est pas ce qu’on croit. L’exemple paradigmatique de cela est le poème « Une charogne » dans lequel Charles Baudelaire nous offre avec toute la grâce et la subtilité de sa langue une description assez horrible d’une charogne. C’est beau et terrible en même temps. Baudelaire finit par nous rappeler que nous serons toutes et tous comme cette charogne, pourrissant et définitivement mort·e·s. De l’autre, la remise en question, par Rimbaud, de la forme de ce que peut dire un poème. Il disait de Baudelaire, qu’il admirait, qu’il était absolument révolutionnaire dans le fond mais que la forme restait vieille. Il a donc cherché à la rajeunir. Et a notamment développé la poésie en prose.

Je pense enfin au long travail de révolutions esthétiques et de déconstructions pendant le XXe siècle accompagnant ses tragédies et son absurdité.

Toutes ces choses qui amènent Samuel Beckett, interviewé par l’universitaire américain Tom Driver en 1961, à cette phrase terrible : « Le défi des écrivains modernes, c’est qu’ils ont affaire au monde de la destruction et qu’ils doivent en tirer une forme. Si on n’est pas à la hauteur de la destruction (the waste), de la débâcle, du désastre, de la dévastation, on n’est pas un poète moderne. Mais si on ne trouve pas une forme, on n’est pas un poète moderne. » Autrement dit, l’art contemporain doit trouver une forme à la hauteur de la destruction, du chaos, une forme à l’informe.

Bref, on est dans la merde.

 

Le capitalisme détruit tant tout, digère tant tout que l’art n’a plus rien à détruire.

La merde est cela.

La merde c’est précisément cela.

 

Et jongler ou jouer avec la merde, c’est honorer ce projet beckettien : s’occuper de l’informe.

 

 

Forme et informe

On pourrait imaginer un genre de projet de pédagogie anar sur l’informe.

 

Les pédagogues se prennent la tête à se demander s’ils transforment, forment et/ou déforment les étudiant·e·s … Et pourquoi ne les informeraient-ils pas ? J’entends ici les deux sens du verbe informer : le sens strict – donner des informations – et le sens inusité – sortir de la forme.

 

J’attends donc impatiemment que l’apprentissage du jonglage passe par cette étape cruciale : le fécal. Ou pour le moins l’informe.

 

Comme un retour aux sources autant qu’une nouveauté.

 

Retour aux sources car si l’on en croit Freud, merde et argent se répondent, se correspondent. Et comme je le disais dans un autre texte (« Jongler avec la mort »), le cirque a depuis longtemps à voir avec le commerce, avec l’argent. Le cirque moderne est une entreprise avec des coûts énormes (le chapiteau, les animaux, etc.). Il faut donc bien viser une rentabilité. Les enseignes traditionnelles n’ont-elles pas fait leurs choux gras avec la vente de pop-corn et d’autres produits en parallèle de la représentation ainsi qu’en faisant payer la visite de la ménagerie ? Alors jongler avec la merde c’est faire preuve d’une grande honnêteté en fin de compte. La quintessence du cirque en quelque sorte : jouer avec la thune. Tant qu’à être immanent, soyons-le jusqu’au bout, triviaux et vénaux.

 

Et une nouveauté parce que précisément être honnête, ça n’existe plus – enfin, plus assez. La vérité n’est plus une valeur considérée dans notre société capitaliste hyperconnectée. Ce qui fait valeur c’est la publicité d’un discours, pas sa véracité. Alors jongler avec la merde, honnêtement, ça c’est révolutionnaire.

Pour exemple sur cette question de la véracité, pensons à ce qu’a subi Amber Heard durant le procès qui l’opposait à Johnny Depp en 2022 et à quel point des individus malveillants ont manipulé son image via les réseaux sociaux, l’ont harcelée ignominieusement au point de se demander si la « vérité judiciaire » n’a pas été altérée par ce discours pseudo-médiatique.

Pensons aussi au succès grandissant des discours politiques notablement mensongers mais qui plaisent au point de faire élire un Donald Trump.

 

Cherchons du côté des poètes sinon du vrai pour le moins de la véracité.

 

« Là où ça sent la merde / ça sent l’être » disait Antonin Artaud au commencement de son poème « La recherche de la fécalité ».

On va devoir le réécouter, Artaud dans toute sa colère : LE CACA !

 

Réécouter les poètes et aller à l’inverse de l’intelligence artificielle et de la dématérialisation. Matérialiser !

Dans Diaspora, roman de hard science-fiction de Greg Egan, une partie de l’humanité s’artificialise tant qu’elle ne tient plus que dans des programmes et autres puces atomiques. Cette humanité cherche à voyager à travers toutes les dimensions pour trouver une réponse à l’énigme de la vie, vainement. Au début du livre, ces personnes ayant commencé à ne plus être organiques rencontrent des humains qui ont fait le choix contraire du retour absolu à l’organique et à l’acceptation de ses limites, dont la mort. Je me suis reconnu en eux et me sentais bien plus dégouté par l’artifice que par la trivialité du corporel.

 

Cela m’amène à apprécier autrement le fait d’exister, d’être. Mais quand il y a de l’être, ça sent toujours…

 

 

Jongler avec de la merde

À ma connaissance, peu d’artistes ont essayé.

 

Avec l’informe, ça me fait penser à Laurent Chanel et son projet Cthulhu mon amour (2019). Dans ce spectacle-performance, Laurent Chanel fait pousser des sortes de grands tentacules faits de mousses savamment composées d’hélium, d’oxygène et de savon. Ces tentacules grandissent de manière spectaculaire et ondoient au gré des courants d’air. On est face à quelque chose qui se meut, se brise, qui change de forme. Laurent Chanel joue avec ces excroissances. On n’associe pas ces choses à de la merde mais la forme n’est pas stable. L’étrangeté nous jette dans un effroi et une fascination. Une existence a été donnée à de l’informe et de l’éphémère.

 

Et pour ce qui est de jongler avec de la merde, seule l’artiste danseuse et performeuse Mathilde Monfreux s’y est réellement aventurée, je crois. C’était il y a une dizaine d’années, elle manipulait et jonglait avec des sortes de grands boyaux remplis d’une substance marron. Ça ressemblait autant à un énorme intestin qu’à un boudin ou un étron. Ça salissait et ça puait. Dans une performance qu’elle a conçue lors d’un événement que je supervisais aux Subsistances à Lyon, elle travaillait sur le tube que représente notre système digestif. Anatomiquement, ce tube est considéré comme de l’extérieur, même s’il est à l’intérieur de notre corps. Ce qui relie notre bouche à notre anus est une sorte d’extérieur intériorisé, un endroit d’échange.

Les glandes sont séparées en deux catégories : les glandes exocrines et endocrines. Les glandes endocrines déversent leurs substances dans le corps, les hormones. Les glandes exocrines les secrètent à l’extérieur du corps, comme la sueur des glandes sudoripares. Eh bien, les sucs digestifs sont considérés comme exocrines parce qu’ils sont déversés vers un extérieur, mais qui est temporairement à l’intérieur : l’estomac, les intestins, etc. Ça pose la question de notre perméabilité et par conséquent de l’échange avec ce qui est ingéré. Dans le tube digestif, on trie ce que l’on reçoit et ce que l’on rend. Cette question de l’échange est cruciale, j’y arrive, j’y arrive.

Au cours de sa performance, Mathilde Monfreux disait cette phrase lourde de sens : « quand on naît on crie, quand on meurt on chie ! » En entendant ce rapprochement entre le cycle digestif et le cycle de la vie, l’acte de manipulation des boyaux m’apparaissait comparable à une forme de rituel.

 

La question du rituel me passionne, et les mots de l’auteur Bruno Remaury à son sujet me parlent au cœur, aux tripes et au cerveau. Dans une interview publiée dans la revue Ballast, il dit :

Les rituels donnent sa forme au monde et le rendent habitable. Ce « large horizon » […], ou cette immensité fait peur. Soit on arrive à l’embrasser à bras-le-corps, ce dont je ne suis pas capable, soit on se donne des formes, on s’entoure de signes. Et ça, c’est à la fois Pollock qui danse sur sa toile, ou le fait de raconter des histoires sur Instagram, ou s’envelopper de musique ou d’objets. Oui, c’est donner sa forme au monde.

J’ajouterais : donner sa forme et son informe au monde.

Et je tiens à souligner l’expression utilisée à la fin de cette citation : « s’envelopper de musique et d’objets » pourrait être ici un pont très clair vers le jonglage.

 

 

Se retenir ou lâcher

Les joies du stade anal en psychanalyse. Parlons-en.

Retenir ou lâcher. Maîtriser ou s’abandonner. Donner ou pas.

Sur cette question, les jongleuses et jongleurs sont plutôt passé·e·s maîtres dans l’art du retenir, de maîtriser rigoureusement, méthodiquement tout.

L’exemple le plus dément de cette inclination est probablement le spectacle Holy d’Emil Dahl (2020). La maîtrise technique de ce jongleur est ahurissante. Il fait ce que personne d’autre ne fait et de manière extrêmement précise. Chaque geste est maîtrisé. Emil Dahl développe des équilibres d’anneaux qu’il tient simultanément sur la tête dans une atmosphère de méditation. Son cul, nos culs sont extrêmement serrés pendant cette performance. Le jusqu’au-boutisme de la proposition frôle une sacralité toute cérébrale, hors corps.

 

Ce que soulève en moi cette expérience esthétique, c’est précisément cela : la cérébralité, le refoulement de l’organique et de la puissance du lâcher-prise.

Fritz Zorn en parle tragiquement bien dans son essai autobiographique Mars. Cet écrivain est né dans une famille bourgeoise suisse, protestante, dans laquelle le refus – dire non – et plus largement le conflit étaient inimaginables. Tout était fait pour que chaque membre de la famille refoule toute velléité personnelle si elle contrecarrait le cadre familial bienséant. Dans son livre, Fritz Zorn parle de son cancer et il en dit qu’il est le stigmate de ce refoulement infernal, de ce refus du corps et de la puissance de la négation. Il a été éduqué à mort. Tout était propre, rangé, lissé, sans vie. Autant mourir…

 

…Ou alors choisir le lâchage, l’exutoire, la grande défécation soulageante.

 

En 2003, pour composer la présentation technique de ma sortie de l’école de cirque de Châlons-en-Champagne, un professeur avait suggéré à l’ensemble de ma promotion de faire de cette présentation un cadeau. Un cadeau pour le public, un cadeau pour les enseignant·e·s qui nous avaient accompagné·e·s pendant plusieurs années, un cadeau pour nous.

Le cadeau.

Le cacadeau.

Pendant cette présentation je faisais un enchaînement de danse et de balle-contact tandis que des camarades venaient me nourrir et me donner à boire sans que je ne m’arrête. Évidemment, cela débordait et devenait un gavage salissant voire souillant, et des seaux d’eau finissaient par tomber de la coupole du chapiteau. Il y avait notamment du Nutella qui m’était donné à la petite cuillère d’abord par Marie Jolet, puis à la cuillère à soupe par Victor Cathala avec moults débordements.

Tout cela se situe à l’opposé de la merde, vers la bouche. Mais pour finir il y a une sorte de correspondance entre ce qu’on mange et ce qu’on défèque.

 

 

Le don de soi

Donner, se livrer, oser offrir l’intime et même le plus crade, c’est beau.

Un cadeau, un vrai cadeau, ça ne demande pas de contre-don, c’est un don. C’est extrêmement rare, peut-être même impossible.

 

Dans le système capitaliste, rien n’est gratuit. Ce qui l’est fait semblant de l’être.

Alors un don, qui ne soit pas un sacrifice (genre le don religieux), ce serait un acte de résistance.

 

Le capitalisme dévore et digère tout. Alors jonglons avec les fientes, avec ce que le capitalisme conchie, avec ce qu’il nous laisse, ce qui nous reste : les déchets, les ordures, les rebuts, les détritus. Soyons nous-mêmes des rebuts.

 

La société de l’auto-promotion généralisée par les réseaux sociaux, cette puissance de Narcisse qui nous étreint toutes et tous, ce besoin de contrôle absolu sur l’image de soi, c’est une nouvelle pudibonderie, un ravage de précieux et précieuses ridicules, d’artificialité, un contrôle sur soi que l’on croit individuel mais qui joue dans la cour d’un contrôle systémique. Cette publicité de soi permanente fait de nous des produits sur un marché.

Lâchons.

Lâchons les pets,

Lâchons les crottes et les amarres,

Fuyons les délires anorganiques du contrôle de tou·te·s sur tout.

Lorsqu’on tombe, lorsqu’on se sent mal, on dit qu’on est une merde.

Relevons-nous, soyons des merdes debout !

 

Soyons « Eux », pronom éponyme du poème d’Henri Michaux :

« Eux »

Ils ne sont pas venus pour rire ni pour pleurer,
Ils ne sont venus d’abord plus loin que le rivage,
Ils ne sont venus ni à deux ni à trois,
Ils ne sont pas venus comme on l’avait dit,
Ils sont venus sans protection, sans réflexion et sans chagrin,
Ils sont venus sans supplier, ni commander,
Ils sont venus sans demander pardon, sans parents et sans vivres,
Et jusqu’à cette heure, ils n’ont pas encore travaillé.
Bien, bien, bien, c’est ainsi qu’on sera maté par plus abandonné que soi,
On sera vaincu et couché nu sur les lits préparés par les vainqueurs,
On avalera sa honte dans le plaisir ou dans la souffrance,
Et beaucoup salueront la révélation en grinçant des dents,
Et sans vouloir s’admettre eux-mêmes.

Amour ! Amour ! Et une fois de plus ton nom appliqué tout de travers.

 

Soyons Eux et il ne me restera plus qu’à écrire une troisième et dernière élucubration après « Jongler avec la mort » et « Jongler avec la merde » : « Jongler avec l’amour » !

 

Mais avant cela, allons au bout de l’entreprise : un souvenir.

Je ne sais pas quel âge j’avais, j’étais aux toilettes et je n’y arrivais pas. J’ai appelé ma mère qui est venue me voir et qui, pour m’aider, a mis ses mains sous mes fesses. Et là, j’ai réussi, mon cadeau a pu sortir, j’ai pu offrir ce caca à ma maman chérie.

Merci maman.

Je t’aime maman.

Tu es morte il y a bientôt trente ans et cet acte est peut-être un de mes premiers souvenirs.

C’est bizarre mais en fait non.

C’était cadeau de moi et cadeau de toi.

Alors que faire aujourd’hui sinon l’offrir à ma manière au monde ?

Cadeau cher·e lecteur·rice.

 

Cadeau